Face à Brigitte Cassette, Franck Thilliez passe aux aveux ...
Interview exclusive que j'ai eu le plaisir de réaliser avec le roi du polar, Franck Thilliez, membre d'honneur de l'association ADAN.
Si vous connaissez Sharko, si vous connaissez Lucie, deux de ses personnages majeurs, vous ignorez sans doute les réflexions de l'auteur vis à vis de son métier et face à la crise du Covid 19 que nous traversons. Je vous invite à découvrir ces échanges passionnants recueillis en mai 2020.
L'auteur de polars Franck Thilliez |
BC : Nous vivons actuellement,
en raison du Covid 19, une période unique en son genre, laquelle a généré un ralentissement
de l’activité mondiale avec un repli des échanges tant sur le plan économique
que sur le plan humain. En phase de création, les auteurs sont généralement habitués
à travailler à l’écart, de manière solitaire. En ce qui vous concerne, comment
avez-vous traversé cette période de confinement jusqu’au 11 mai ? En
avez-vous souffert ? Au contraire, celle-ci a-t-elle été pour vous bénéfique,
propice à la création, à la correction de textes, ou simplement au repos ?
FT :
En fait, il y a eu deux phases. La première où, comme un peu tout le monde je
pense, on se demande ce qui se passe et on l’a l’impression que le ciel nous
tombe sur la tête : les mauvaises nouvelles permanentes, l’accroissement
exponentiel de l’épidémie, les hôpitaux saturés, tous ces morts… J’étais dans
un excès de consommation d’actualités, connecté en permanence à ce qui se
passait, et je me suis dit qu’il fallait que je me sorte de là car il n’y avait
que des mauvaises nouvelles.
Alors,
je me suis replongé à plein temps dans l’écriture, et ça a été un vrai moyen de
m’échapper toute la journée. À partir de ce moment, je n’ai jamais autant
écrit. J’étais ailleurs, dans l’imaginaire, sur des contrées lointaines avec
mes personnages, avant de retomber dans la réalité, souvent le soir.
Donc,
beaucoup de création en cette période et ça continue, car les déplacements
étant limités, et de nombreuses manifestations étant annulées, j’ai tout mon
temps pour écrire mes histoires, alors que je devrais être, en ce moment même,
par monts et par vaux dans les librairies de France.
BC : Je ne pourrai faire
l’impasse sur la publication d’un de vos livres intitulé « Pandémia »
(paru aux éditions Fleuve Noir en 2015) qui traite de ce sujet. Bon nombre
d’aspects, sur les ravages causés par la pandémie actuelle, paraissent
prémonitoires. Quelles sont les véritables raisons qui vous ont poussé à
développer cette thématique à cette époque ? Etait-ce le fruit d’un
raisonnement philosophique ? L’anticipation d’une possible réalité qui
vous titillait ? Le désir de traiter un sujet grave avec ses incidences sur
le genre humain et nos sociétés contemporaines ?
FT :
Le sujet des virus m’a toujours intéressé. Les virus génèrent de la peur, de
l’angoisse, ils sont partout parmi nous, peuvent tous nous atteindre, renverser
le monde, ils sont donc des « candidats parfaits » pour une intrigue
policière. Il fallait trouver le moyen d’être différent de ce qui existait déjà
en littérature et au cinéma, et j’ai trouvé intéressant de coller le plus
possible à un scénario plausible, quelque chose qui pourrait réellement se
passer dans notre monde d’aujourd’hui. C’est pour cette raison que je me suis
rapproché de l’Institut Pasteur de Lille.
C’est
le propre du polar d’essayer de coller au mieux à l’actualité, voire de
l’anticiper légèrement, sans sombrer dans la science-fiction. La pandémie que
nous vivons est un phénomène évolutif qui a déjà frappé par le passé, et qui
frappera encore dans le futur. Écrire un roman dans lequel se produit une
pandémie n’est donc pas, finalement, une « prédiction », ou un délire de
romancier, c’est le choix de faire se dérouler un événement possible dans notre
société, d’en comprendre les causes et d’en observer les conséquences
sanitaires, sociales, économiques…
BC : De manière plus légère, comment
le « virus » de l’écriture vous a-t-il contaminé ? A quelle
période de votre existence ? Quel a été le déclencheur qui vous a poussé à
prendre la plume ? Nait-on auteur ou le devient-on ?
FT :
Je ne sais pas si on nait auteur, ou si on le devient, mais on ne peut pas se
forcer à être auteur. J’ai un jour discuté avec quelqu’un qui m’a dit que,
depuis tout petit, il voudrait écrire des livres. Il a fait toutes les études
littéraires qu’il fallait, et n’a finalement jamais été capable de poser une
ligne. Parce qu’il avait fait de l’écriture un but, mais cela ne suffit pas.
Ecrire,
c’est pouvoir inventer des histoires, c’est très lié à l’imagination, à la
capacité à créer, à se projeter dans la peau de personnages, à visualiser des
décors, sentir des odeurs. Il y a sans doute un peu d’innée là-dedans, mais je
dirais surtout que l’imagination, ça se développe et se cultive.
Mon
déclencheur, à moi, ça a simplement été de vouloir transmettre des émotions par
des histoires. Je trouvais fabuleux que des auteurs, des cinéastes, des
musiciens, soient capables de me transporter, de m’emmener dans des autres
mondes, de me faire voyager. J’ai essayé de les imiter. Du jour au lendemain,
alors que j’avais mon métier d’ingénieur, je me suis mis devant mon écran, chez
moi au soir, et je me suis mis à écrire, parce qu’il suffisait d’un ordinateur
et d’imagination. Sans me poser de questions ni me demander si j’étais fait
pour ça. Pour le reste, ce sont les lecteurs qui décident…
BC : Vous qui abordez si souvent
la mort à travers vos récits, comment la définissez-vous à titre
personnel ? Est-elle effrayante, synonyme de fin absolue ou d’espérance
dans l’au-delà ?
FT :
La mort… Je crois que nous y avons tous pensé, plus que jamais, en cette
période de Covid, parce qu’elle s’est d’un coup immiscé dans notre quotidien, à
tous. Ce qui s’est passé, entre le début de l’épidémie et aujourd’hui, résume
pas mal toute la complexité de notre rapport à la mort. Pour les proches d’un
disparu de cette maladie, la mort est une épreuve, une injustice, un couperet.
Puis sont arrivées ces images où l’on exposait la mort, où on la mettait
quelque part en scène, dans les morgues, même les patinoires… Tous ces
cercueils alignés… On la montrait au travail, la mort, à travers des images
ayant pour seul but de nous effrayer : « restez chez vous, sinon la
mort viendra vous chercher, vous aussi ». La mort n’était plus un
phénomène séparé et lointain, elle se matérialisait en cette grande Faucheuse
qui s’occuperait de nous si nous pointions le bout de notre nez. Puis elle est
devenue un chiffre, une statistique, un outil de comparaison entre les
pays : « J’ai moins de morts que mon voisin, je gère mieux la
crise ». Un nombre de morts en baisse était un signe positif, un signe
« d’espoir », alors que derrière ce chiffre, il y a avait autant de
personnes qui laisserait une grande blessure dans le cœur de leurs proches…
On
voit donc les multiples visages qu’elle peut revêtir, effrayante, fin de soi,
espoir… Il faudrait des pages pour en parler, sans forcément trouver de
réponse. En tout cas, dans le roman policier, elle est un vrai personnage qu’il
faut traiter, et avec lequel il faut vivre… Et ce, me concernant, depuis des
années.
BC : Il me semble que la
profession d’écrivain comporte deux phases majeures : une part d’ombre,
lorsque l’auteur rédige dans son bureau à l’abri des regards, et une part de lumière,
lorsqu’il partage ses créations aux lecteurs, aux journalistes, devant les
caméras, sur les salons, ou à l’occasion de conférences. De ces deux facettes
de votre métier, laquelle préférez-vous ?
FT :
Réponse difficile, car j’aime les deux, et aussi, parfois, les deux me rebutent
un peu ! Le long tunnel de l’écriture est synonyme de liberté absolue, de
création, d’euphorie parfois quand des idées arrivent ou que des éléments
s’imbriquent pour constituer une histoire. On se dit « là, ça marche,
c’est génial et les lecteurs vont aimer. » Mais cette partie est aussi une
traversée en solitaire, on est seul face à la page blanche, personne ne peut
nous aider, nous dire ce qu’il faut faire. À un moment donné, c’est comme une
vrai traversée maritime, on n’en voit pas le bout… Puis arrive la terre
promise, là-bas, tout au loin, et l’euphorie revient.
L’autre
partie, le partage, les rencontres, c’est la grande bouffée d’oxygène, la
libération, comme d’un poids dont on se décharge, ou pour en revenir à l’image
de la traversée, c’est le marin qui retrouve la civilisation, le monde, la
terre. C’est une période que j’aime beaucoup, car il y a les lecteurs, les
libraires, toutes ces personnes qui attendent vos histoires et qui ne demandent
qu’à partager. Au début, c’est génial. Mais je dois avouer qu’après deux ou
trois mois à sillonner les routes pour la promo, je n’ai qu’une hâte :
retrouver ma solitude !
BC : Vous attachez une grande
importance à la création de vos personnages. Pouvez-vous communiquer à nos
auteurs quelques astuces à prendre en compte et les pièges à éviter pour que nos
personnages de roman paraissent plus authentiques ?
FT :
Créer un bon personnage est aussi important que de créer une bonne histoire
(d’ailleurs, l’un ne va pas sans l’autre). À mon sens, un bon personnage doit à la fois être un
« héros » et un personnage « ordinaire », un équilibre pas
évident à trouver. Héros, car il doit avoir un destin, souvent compliqué, qui
va être bouleversé et qui va le pousser à surmonter tout un tas de problèmes.
« Ordinaire », au sens où n’importe lequel d’entre nous peut
s’identifier à lui. Ce personnage est unique, mais finalement, il nous ressemble
tous. Pour reprendre l’exemple avec le Covid, nos soignants se sont un peu
retrouvés dans la position que je vous décris : « des héros
ordinaires ».
Il
est important, également, que ce personnage dégage une empathie
immédiate : on doit avoir envie de le suivre dans ses aventures. Si, dès
les premières pages du roman, le lecteur
partage les émotions de votre personnage principal, alors il aura envie de
continuer sa lecture. Une dernière chose, c’est de savoir de quoi, ou plutôt de
qui l’on parle. Un flic de 25 ans qui arrive sur sa première scène de crime ne
se comportera pas de la même façon qu’un vieux policier qui a déjà tout vu. Un
homme sans enfants n’a pas le même comportement qu’un père, etc… Il faut donc
être attentif à ce que le comportement, les paroles, les émotions de vos
personnages collent avec sa situation.
BC : Pour vous, quel est le plus
beau cadeau qu’un auteur puisse recevoir de ses lecteurs ? Avez-vous une
anecdote à ce sujet ?
FT :
Le plus beau cadeau, je crois que c’est lorsqu’une personne se remet à aimer la
lecture grâce à vos romans. Une fois, un monsieur de 50 ans est venu me
raconter qu’il n’avait plus jamais lu depuis l’école, et qu’il s’était remis à
la lecture avec mes livres, et qu’il adorait ça. C’est ce que permet la littérature
populaire : elle est une rencontre entre un lecteur qui s’ignore et un
roman qui vient se mettre sur le bon chemin pour être choisi !
BC : A présent que nous sommes
déconfinés, quels sont vos projets à courts ou moyens termes ? Cet épisode
inédit vous aura-t-il laissé quelques bonheurs ou des regrets ?
FT :
Le confinement n’a rien changé à mes projets, qui sont toujours très décalés
entre le moment où je les écris, et le moment où ils se matérialisent, que ce
soit en livre où à la télé. Je travaille sur un prochain épisode d’Alex Hugo
(France 2) avec Niko Tackian (co scénariste et romancier également), sur mon
roman de 2021, sur un nouveau tome de la BD pour enfants « La brigade des
cauchemars » ainsi que quelques autres projets. Donc, je ne chôme
pas ! Niveau travail, l’épisode du Covid m’a permis finalement d’avancer
plus vite, mais c’est tout de même un épisode douloureux, pas tant à titre
personnel, mais plutôt pour les différentes catastrophes sanitaires et
maintenant sociales qu’il engendre. De
nombreux secteurs sont très fragilisés, et je pense, bien sûr, à celui du
livre, qui était déjà dans une situation complexe avant-même le virus. J’espère de tout cœur
que les libraires, les auteurs, tout les acteurs du livre sauront surmonter l’épreuve,
nous avons besoin de livres, de culture, d’art pour ne pas sombrer dans
l’ignorance… Il en va de nos libertés individuelles et collectives…
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